Les conséquences de la faillite de la politique étrangère de la Turquie | Foreign Affairs - Hellenic Edition
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Les conséquences de la faillite de la politique étrangère de la Turquie

Au cours des 14 années au pouvoir le gouvernement islamiste de l’AKP a fini par se transformer en un régime autoritaire sous l’égide de l’homme fort du pays, Recep Tayyip Erdoğan. Sa politique étrangère quant à elle, après avoir été littéralement désintégrée s’est transformée en une série noire décousue et allant dans tous les sens. Quel que soit le résultat du référendum du 16 avril prochain cette tendance semble être là pour durer tant que le régime reste en place, ragaillardi par un « oui » ou affaibli par un « non ». Car en fin de compte la faillite de la politique étrangère est consubstantielle à la faillite générale qui est loin de se terminer.

En Syrie, Ankara qui vient de s’engager militairement pour se tailler une poche sunnite et arabe dans le nord du pays, la ligne consiste maintenant à aider les groupes djihadistes contre les Kurdes de Syrie sans pour autant pouvoir contrôler ces groupes par manque d’information et d’expertise. La présence d’Ankara est tolérée par Moscou et Washington qui, pour l’instant laissent faire. La poche d’Idlib collée à la province turque d’Antioche reste une source d’inquiétudes grandissante dans la mesure où les djihadistes de toute espèce continuent de s’y entasser avec une unique porte de sortie sur la Turquie. A long terme l’obsession antikurde d’Ankara n’a aucune prise sur la réalité, les Kurdes syriens étant la seule force terrestre capable de nettoyer le territoire d’ISIL. Les velléités décentralisatrices des dirigeants kurdes présentent de même, une perspective politique crédible pour la future architecture politique en Syrie, réduisant l’obsession d’Ankara à un combat d’arrière-garde. En Iraq l’activisme d’Ankara a buté contre l’intransigeance de Bagdad et les forces militaires turques ont du se dégager de Bashika près de Mossoul de crainte d’envenimer les relations économiques avec Bagdad.

Avec la Russie Ankara a soudain décidé en été de faire amende honorable et a accèdé aux demandes de Moscou pour demander pardon et éventuellement de dédommager les conséquences de l’abattage de l’avion de chasse. Cette relation tactique qui ne correspond à aucune perspective historique n’a pas beaucoup de chances d’aboutir. Il faut savoir que Moscou et Ankara et avant Istanbul n’ont coopéré sur aucun dossier de politique étrangère depuis Pierre Le Grand. Cela dit il est évident que Moscou a aujourd’hui toutes les cartes en main et utilise les émotions antioccidentales d’Ankara pour se positionner en Turquie envers et contre l’OTAN.

Avec Israël Ankara a fait tomber sa rhétorique belliqueuse et antisémite pour chercher une ligne médiane après la tension Mavi Marmara. Un accord est conclu en été avec le gouvernement de Netanyahou où malgré les apparences, Ankara a concédé. Il s’agit là de l’entente des deux régimes isolés du Moyen-Orient plutôt que d’une paix des braves. Les relations se sont normalisées mais restent très loin de la période précédant à l’attaque de Mavi Marmara.

Diplomatiquement parlant Ankara donne l’impression de chercher à s’absoudre de son implication désastreuse au Moyen Orient et en particulier en Syrie, notamment à échapper aux poursuites judiciaires éventuelles à l’échelle internationale. D’où les « lunes de miel » avec tout le monde et n’importe qui, et de chauds messages de réconciliation à tout le monde et n’importe qui.

Restent les pays alliés de l’Occident ! Tirant profit du coup d’état manqué du 15 juillet le régime cherche à les convaincre du bienfondé de ses choix politiques tant à l’extérieur que dans le pays-même où sévit depuis le coup d’état avorté une répression inouïe depuis 1923. Cela étant, il a beaucoup de mal à persuader et tout au contraire les relations tant bilatérales que multilatérales ne cessent de se détériorer avec les Européens en particulier.

Sur le plan multilatéral les relations avec les trois grandes institutions de l’après-guerre, le Conseil de l’Europe, l’OTAN et l’Union européenne sont au plus bas. L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe va très probablement déclasser la Turquie au rang de pays sous procédure de suivi à cause de manquements aux principes fondateurs en matière des droits de l’Homme. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe critique systématiquement la Turquie notamment au sujet d’allégations de torture suite aux purges massives qui ont suivi le coup d’état avorté. La Cour européenne des droits de l’Homme craint de voir ses activités paralysées suite aux demandes massives de recours individuels de citoyens de Turquie. La Commission de Venise finalement, rejette dans son dernier rapport la conformité de la tenue de référendum pendant l’état d’urgence et critique les dispositions de l’amendement constitutionnel comme étant antidémocratiques.

Les relations avec l’Union européenne sont aujourd’hui réduites à l’accord sur les réfugiés et l’impérieuse nécessité de maintenir la Turquie au sein de l’OTAN en évitant qu’elle entre dans la sphère d’influence de la Russie. Au-delà, rien ne va plus entre la Turquie et l’Union qu’il s’agisse de l’exemption de visa Schengen pour les ressortissants de Turquie, la révision de l’Union .douanière, les aides de préadhésion et bien entendu les négociations d’adhésion. Il existe aujourd’hui une opposition grandissante à l’adhésion de la Turquie exprimée ouvertement par les plus hauts responsables des pays membres dont l’Autriche et la Belgique. Le Parlement européen de même s’est exprimé pour un gel des négociations en novembre. Il est évident que la Turquie n’est plus conforme au critère politique de Copenhague, une condition sine qua non des négociations, depuis longtemps. Il faut également noter que les constantes références à la restitution de la peine de mort et le rapport de la Commission de Venise sur la non-conformité du référendum aux principes européens aggravent la candidature de la Turquie.